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Les "fellaghas bretons" ont encore frappé fort. Cette nuit de 1974, les indépendantistes du Front de Libération de la Bretagne (FLB) plastiquent l'émetteur ORTF de Roc'h Trédudon (Finistère), privant de télé un million de Bretons, au nom de la défense de la langue bretonne.
Il est 1H00 du matin dans la nuit du 13 au 14 février 1974, quand deux explosions, puis un choc énorme, retentissent dans le silence brumeux des Monts d'Arrée. Le pylône ORTF, de 222 mètres de haut, vient de s'affaler sur la lande.
Un carton est découvert sur place, avec l’inscription "FLB-ARB evit ar brezhoneg" ("FLB-ARB pour la langue bretonne"). Dans l'après-midi, le sous-directeur du site meurt d'une crise cardiaque en découvrant les dégâts.
"C'est un attentat retentissant par sa cible et par sa technicité. On voit bien que des militaires ou d'anciens militaires y ont participé", décrit Erwan Chartier, auteur d'un ouvrage sur l'événement ("Roc'h Trédudon 1974, la bombe et le pylône", éditions Penn Bazh).
Par cet acte, les indépendantistes bretons s'en prennent à une "télévision d'Etat" sur laquelle "la langue bretonne était marginalisée", n'ayant droit qu'à 1 mn 30 par semaine, explique M. Chartier.
L'attentat est revendiqué le jour même sur France Inter par Yann Goulet, un nationaliste breton exilé en Irlande, qui avait été condamné à mort pour collaboration avec l'Allemagne nazie.
Une revendication mal perçue par le FLB-ARB (Armée révolutionnaire bretonne), très éloigné idéologiquement de cet aîné au passé trouble.
Car le FLB de l'époque est "un mouvement indépendantiste et autogestionnaire, influencé par les idées gauchistes post-1968", décrit Ronan Le Coadic, professeur de langue et culture bretonnes à l'Université Rennes 2.
Les "fellaghas bretons", comme les décrit Le Nouvel Observateur (en Une en avril 1968), revendiquent l'héritage du chef breton "Nominoë (...) en passant par Hô Chi Minh et le Che", selon la banderole d'un éphémère "FLB légal", brandie lors d'un meeting à la Mutualité en 1969.
- "État français colonisateur" -
Dans un programme publié en 1978, le mouvement indépendantiste promet même de "détruire (...) l'oppression de l’État français impérialiste et colonisateur" et d'ouvrir une "voie bretonne au socialisme". L'émetteur ORTF de Roc'h Trédudon n'est, dans cette optique, qu'un symbole impérialiste à abattre.
Sa destruction, qui prive un million de Bretons des aventures télévisées de Tarzan, Arsène Lupin ou Louis de Funès, est cependant mal perçue par la population, selon la presse de l'époque.
"Le FLB-ARB a-t-il commis une erreur psychologique?", s'interroge Le Monde, qui titre un reportage réalisé à Saint-Pol-de-Léon (Finistère): "Il ne nous reste que le tiercé et la lecture".
L'ancien avocat du FLB, Yann Choucq, 77 ans, qui était alors en vacances sur l'île d'Ouessant, se souvient lui des soirées à jouer aux cartes et des répétitions de danse et de chants au cercle celtique. "Les Ouessantins avaient repris leur vie d'avant", confie-t-il.
On prêtera même, à cette vie sans écran, la survenue d'un baby-boom breton. "Une légende rurale", balaie M. Chartier, qui rappelle que l'expérience n'a duré que quelques semaines, grâce à des camions-émetteurs dépêchés en renfort.
Loin de ces considérations démographiques, le ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin vilipende "l'agitation séparatiste (...) sans autre issue que la Cour de sûreté de l’État" - du nom d'une juridiction d'exception abolie en 1981.
Mais ce sont les algarades de "Raymond la matraque" qui se révèleront sans issue. Les auteurs ne seront jamais identifiés ni jugés et bénéficieront de l'amnistie votée quelques mois plus tard, après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing.
Ce qui n'empêchera pas les attentats de reprendre de plus belle: perceptions, gendarmeries, casernes, centrale nucléaire de Brennilis (Finistère)... jusqu'au Château de Versailles en 1978. Soit plus de 200 attentats, rien que pour les années 60 et 70... L'ARB ne rend définitivement les armes qu'en 2000.
Ces dernières années, des courriers signés FLB ont bien revendiqué des dégradations et incendies contre des résidences secondaires, amenant le parquet de Quimper à ouvrir une enquête.
Mais "je ne sens pas quelque chose de très structuré", nuance Erwan Chartier, qui estime qu'"on est plus dans le registre de la communication politique".
F.Chaudhary--DT