Dubai Telegraph - En Ethiopie, une "triste" Epiphanie orthodoxe, sur fond de conflit armé

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En Ethiopie, une "triste" Epiphanie orthodoxe, sur fond de conflit armé
En Ethiopie, une "triste" Epiphanie orthodoxe, sur fond de conflit armé / Photo: Michele Spatari - AFP

En Ethiopie, une "triste" Epiphanie orthodoxe, sur fond de conflit armé

"Comment se réjouir quand tant de gens meurent?": A Gondar, principale ville de la région éthiopienne de l'Amhara, théâtre d'un conflit armé depuis plusieurs mois, les célébrations de Timkat, fête orthodoxe, ont été moins joyeuses et colorées que d'habitude.

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Chaque année, Timkat ("Epiphanie" en langue amharique) commémore le baptême du Christ par Jean-Baptiste dans le Jourdain. La fête est célébrée à travers le pays par les fidèles de l'Eglise orthodoxe éthiopienne, l'une des plus anciennes Eglises chrétiennes au monde, dont se revendiquent environ 35% des Ethiopiens.

La ferveur particulière des festivités de Gondar, dont le clou est la baignade collective dans les bains du château de l'empereur Fasiladas, fondateur de la ville, dont il fit la capitale impériale au XVIIe siècle, attire d'ordinaire fidèles et touristes.

Vendredi, à peine un millier de personnes se sont rassemblées pour suivre la procession des 44 églises de Gondar escortant huit arches sacrées depuis la vieille ville jusqu'aux bains, loin des 250.000 recensées certaines années par l'office du Tourisme.

"Cette année, à cause des tensions politiques, ce n'était pas animé. Je célèbre Timkat depuis des années, mais aujourd'hui le nombre de participants était considérablement bas", constate Dereje Mengesha, professeur de l'Université de Gondar, âgé de 27 ans.

En fait de "tensions politiques", un conflit armé oppose depuis plusieurs mois dans l'Amhara le gouvernement fédéral aux "Fano", des milices populaires amhara "d'autodéfense".

- "Peu de monde" -

Les Fano, comme de nombreux Amhara, s'estiment trahis par l'accord de paix signé par le gouvernement fédéral en novembre 2022 après deux ans de conflit contre les dirigeants dissidents de la région voisine du Tigré - ennemis de longue date des nationalistes Amhara -, contre lesquels les forces amhara ont prêté main-forte à l'armée fédérale.

Et en avril, une tentative du gouvernement fédéral de désarmer Fano et forces amhara a mis le feu aux poudres.

Alors, malgré les chants scandés joyeusement au rythme lancinant des tambours par les fidèles vêtus de tenues aux couleurs de leur église, le cœur n'y est pas pour de nombreux habitants de Gondar, donc certains sur le trottoir regardent passer sans émotion la procession.

"Il y a très peu de monde, c'est pour montrer leur opposition au gouvernement", explique en aparté à l'AFP un homme refusant de donner son nom, avant de poursuivre: "beaucoup de gens sont mécontents, c'est pourquoi ils ne sont pas sortis" pour défiler, dans un pays pourtant profondément religieux.

La semaine dernière, les Fano ont encore fait une incursion de quelques heures dans la ville située à environ 650 kilomètres au nord de la capitale Addis Abeba et peuplée d'environ 500.000 habitants.

"Des gens meurent tous les jours. Les habitants de Gondar sont en deuil. Comment se réjouir quand tant de gens meurent"?, s'interroge un conducteur de Tuktuk souhaitant rester anonyme.

- "Gondar pleure" -

Une poignée de touristes étrangers ont bravé les mises en garde des ambassades occidentales. Ceux de la diaspora éthiopienne sont particulièrement déçus.

Venue du Canada, Menbere Sintaheyu a un sentiment doux-amer. "C'est ma religion, j'ai toujours voulu célébrer Timkat et voir le (château de) Fasiladas et les (célébrations du) Baptême". "Je veux lui montrer d'où elle vient", dit-elle en désignant sa fille d'une dizaine d'années, vêtue comme elle d'une robe traditionnelle de coton blanc.

"Beaucoup d'émotions me traversent. Sur le plan religieux, je suis heureuse, parce que je suis croyante (...) mais l'ambiance est différente".

Samedi matin, ils étaient plus nombreux à assister aux prières, prêches et bénédictions des bains - vaste bassin occupé au centre par un petit édifice de deux étages - construits sous Fasiladas. Avant de regarder se jeter dans l'eau froide des dizaines d'enfants et de jeunes hommes, et de se masser au bord pour se laisser éclabousser.

Les plus pratiquants - femmes et hommes - ont passé la nuit près des bains, en prières dans le froid, au son ininterrompu des mélopées religieuses des prêtres. Les cérémonies ont commencé à l'aube à peine naissante, à la lueur tremblante des bougies.

Eyob, Ethiopien vivant à Vancouver, reste "déçu". "C'est la première fois que je reviens à Gondar en vingt ans et j'espérais autre chose. Ma sœur était là l'an dernier, j'ai vu les vidéos c'était incroyable". "On sent que l'humeur des gens n'est pas la même".

Enfant de Gondar, Mekowanint Fasil, étudiant de 22 ans, lui donne raison en cachant mal son émotion. "Je célèbre Timkat (ici) depuis 22 ans. Mais ce n'est pas la même chose" cette année.

"Cela m'attriste (...) Ce que vous voyez est triste. Les enfants de Gondar ne sont pas venus de loin comme avant. Gondar pleure comme je pleure maintenant", dit-il d'une voix étranglée.

K.Javed--DT